Des organismes de défense de droits de la ville de Québec déplorent le manque d’écoute de la part des élu.e.s municipaux en matière de profilage racial et social.

C’est lors de la séance du conseil municipal du lundi 4 avril dernier que la décision est tombée : les élu.e.s municipaux ne sont pas en faveur de la production d’un rapport Armony par le Service de police de la Ville de Québec.

Qu’est-ce qu’un rapport Armony?

Réclamé pour la première fois en 2017 par une commission municipale à Montréal le rapport Armony est produit par une équipe de trois chercheurs indépendants qui se penchent sur la mesure du profilage racial au sein des Services de police. Les chercheurs sont : Mariam Hassaoui (Université TELUQ), Victor Armony (UQAM) et Massimiliano Mulone (UdeM). Depuis 2017 deux rapports ont été produits : un pour le Service de police de Montréal et un pour le Service de police de Repentigny.

Les conclusions de ces rapports sont grandement révélatrices de la discrimination systémique des forces de l’ordre dans leurs interventions. Dans ce rapport, on apprend notamment, qu’au cours de la période de quatre ans allant de 2014 à 2017, les personnes noires avaient 4,2 fois plus de chances d’être interpellées par le SPVM que les personnes blanches et les personnes autochtones avaient 4,6 fois plus de chances d’être interpellées que les personnes blanches. Ce rapport, en plus d’offrir aux citoyen.ne.s et aux élu.e.s une image claire de la situation en termes de profilage dans leur ville, émet des recommandations concrètes visant à améliorer le Service de police. Très simplement, le rapport Armony permettrait au SPVQ d’avoir les outils nécessaires pour améliorer ses pratiques.

Le profilage : Une problématique ignorée au conseil de ville

Lors de la séance du conseil de ville du 21 mars 2022, la conseillère Jackie Smith déposait un avis de proposition demandant au Service de police de la Ville de Québec de documenter et de produire des données et des statistiques sur le profilage racial et social lors d’actions policières selon la méthode Armony.

Tout d’abord, il est important d’expliquer le processus législatif auquel sont soumis les avis de proposition avant d’être discutés lors d’assemblées publiques. Les élu.e.s doivent déposer un avis de proposition en conseil municipal, ensuite cet avis est étudié en comité exécutif, puis, finalement, ce comité émet un sommaire décisionnel. Ce sommaire indiquera si le conseil exécutif est en faveur ou non de l’avis de proposition et dans un cas, comme dans l’autre, des raisons qui poussent l’exécutif à rendre cette décision. Ce sommaire est présenté lors d’assemblées publiques du conseil municipal. Il est alors possible pour l’ensemble des élu.e.s d’appuyer ou non la proposition qui leur est soumise.

Dans le cas de la proposition à l’étude, le conseil exécutif s’est positionné en défaveur de son adoption. On peut lire dans le sommaire décisionnel disponible en ligne que « le SPVQ ne possède pas de données et de statistiques sur le profilage racial et social concernant les actions policières, incluant les interpellations et la remise de constats d’infraction. » Dans ce même document sont listées les actions entreprises par le Service de police de la Ville de Québec qui avaient été jugées, rappelons-le, comme insuffisantes par des groupes de défenses de droit à la suite du comité plénier du 2 mars dernier.

Dans les derniers mois, voire dernières années, plusieurs évènements ayant été grandement médiatisés nous indiquent la présence de profilage racial et social dans la ville de Québec. Les vidéos documentant des arrestations violentes survenues sur la Grande Allée, ou le récit du vécu de citoyen comme M. Mbongo, légitiment amplement une demande d’analyse indépendante des pratiques du corps policier de Québec. Cette demande doit être traitée avec le sérieux et la rigueur que méritent les citoyen.ne.s de notre ville. Il est important de souligner que les mécanismes de profilage et les dérives autoritaires du Service de police impactent toute la population. En plus d’avoir des répercussions directes sur la vie des victimes, ces procédures judiciaires exacerbent la précarité de notre filet social en plus d’engendrer des coûts importants pour la société. Nous serions toustes gagnant.e.s à se doter d’une méthode d’analyse concrète pour cibler les potentiels biais teintant les interventions des agent.e.s du Service de police.

Il est temps d’agir

Il n’y a pas que les groupes militants qui réclament une transformation des pratiques au sein des corps policiers. Rappelons qu’une des recommandations du Comité consultatif sur la réalité policière, publiées par la Gouvernement du Québec, est d’« obliger les services de police à colliger des données raciales sur les personnes en cause ou interpellées lors de chaque intervention effectuée et à en rendre compte publiquement sur une base annuelle. »

Nous nous posons donc des questions : combien de rapports sommant le Service de police de la Ville de Québec de se pencher sur la question du profilage faudra-t-il pour que l’administration municipale prenne des actions concrètes en ce sens? Combien de personnes devront subir les violences du système avant de faire de cette question une priorité? De quelle façon les communautés profilées peuvent-elles se faire entendre par les élu.e.s? Aussi, est-il vraiment nécessaire d’attendre qu’il y ait plus de personnes victimes des manifestations des violences du système avant de se doter de méthodes d’analyse concrète?

Pour nous, tout porte à croire que les élu.e.s municipaux ne sont pas prêt.e.s à reconnaître la situation de profilage racial et social à Québec, sinon, pourquoi sereaint-iels si réticent.e.s à mandater le Service de police à compiler les données necessaires à l’analyse complète de la situation?

 

Cosignataires :
Alex Tremblay (iel) de La Clinique Droit de Cité

Nadege Rosine Toguem (elle) du Collectif de lutte et d’action contre le racisme

Maxim Fortin (il) de Ligue des Droits et Libertés section Québec